Il y a cent ans, le 3 avril 1912,
Edouard Carouy, membre de la « Bande à Bonnot »,
est arrêté en gare de Lozère



L’équipée tragique de la « Bande à Bonnot », qui a défrayé la chronique de décembre 1911 à mai 1912, a donné lieu depuis à une abondante littérature. L’épisode qui nous intéresse ici se situe à la fin de cette série de faits divers, alors qu’après des semaines de traque infructueuse, les inspecteurs de la Sûreté nationale réalisent coup sur coup plusieurs arrestations.
Depuis la fin de l’année 1911, « les bandits en auto », comme les a très vite surnommés la presse, ont multiplié les attaques à main armée : la première, commise le 21 décembre 1911, a frappé les esprits. Un encaisseur de la Société Générale a été froidement abattu puis dévalisé rue Ordener, avant que les bandits ne prennent la fuite dans une puissante automobile, une superbe limousine de maître Delaunay-Belleville. Ce premier hold-up motorisé de l’histoire du crime constituait une « première » à l’époque. En effet, l’automobile était encore alors un objet de luxe, réservé à quelques privilégiés, et n’avait jamais été utilisée par des criminels. Les forces de l’ordre n’ont rien pu faire : il faut dire qu’à cette époque, les policiers, armés de sabres datant de la guerre de 1870, se déplacent encore à pied - au mieux à bicyclette - , et les gendarmes, à cheval.
Ces bandits d’un genre nouveau se réclament de théories anarchistes, plus précisément du courant « illégaliste », qui prône la « reprise individuelle » considérée comme un acte révolutionnaire, face à l’exploitation des possédants. Après une série de méfaits relatés quasi quotidiennement par la presse, les « bandits en auto » sont signalés partout…
Ce matin du 3 avril, le commissaire Jouin, sous-chef de la Sûreté, et ses inspecteurs ont entrepris la filature du belge Edouard Carouy, dont ils ont appris qu’il se rendait souvent en banlieue sud. L’ayant repéré sur sa bicyclette, puis perdu de vue à hauteur de Choisy-le-Roi, ils décident d’aller se mettre en faction en vue de la gare de Lozère, où ils arrivent à la mi-journée.
C’est M. Lachaux, le garçon du Café-Restaurant de la Gare, tenu par M. et Mme Dugne, et situé à proximité immédiate, qui raconte la suite dans les colonnes du « Petit Journal » :
 « Vers deux heures et demie environ, une grande automobile grise, montée par plusieurs hommes, s’arrêtait devant la maison. Les voyageurs, au nombre de cinq, descendirent et me demandèrent où ils pourraient garer leur voiture, car ils avaient "du travail à faire". Mme Dugne, ma patronne, leur indiqua alors la ruelle voisine.
Mais l’arrivée de cette voiture n’était pas passée inaperçue, et les voyageurs qui en étaient descendus étaient si mal habillés, avec des casquettes et des vêtements si crasseux, que plusieurs habitants du pays les prirent pour des malfaiteurs, et furent sur le point d’aller prévenir les gendarmes…
Mais déjà les cinq hommes s’étaient dispersés. Quatre étaient allés se coucher dans les champs pour surveiller toutes les routes, et le cinquième s’était dissimulé dans les water-closets de la gare, non sans l’avoir longuement inspectée.
Enfin, vers cinq heures, j’aperçus un homme ayant une petite moustache brune, taillée à l’américaine, la mouche, vêtu d’un complet bleu, et coiffé d’une casquette verte, qui arrivait par la route de Palaiseau.
Aussitôt, tous les voyageurs de l’auto arrivèrent dans l’établissement, et tandis que certains se faisaient servir des consommations, d’autres faisaient semblant d’écrire. L’homme au complet bleu se rendit à la gare et se mit à faire les cent pas sur le quai. Pendant ce temps, les inspecteurs de la Sûreté le surveillaient. Cette surveillance devait durer encore près d’une heure.
Enfin, à six heures dix exactement, Carouy - car l’homme au complet bleu, c’était lui – quittait le banc sur lequel il s’était assis et, faisant le tour de la gare, pénétrait dans la salle d’attente pour y prendre son billet. A peine avait-il fait trois pas que le brigadier Colmar, qui le suivait, bondissait sur lui et le saisissait par le bras, l’immobilisant. Presque en même temps, les autres inspecteurs s’emparaient du bandit auquel on passa le cabriolet (*). »

Les inspecteurs devront protéger Carouy des curieux, qui veulent le frapper, avant de pouvoir l’emmener en voiture à Paris, où il sera interrogé par M. Guichard, le chef de la Sûreté. Peu de temps après son arrivée, Carouy demande à ce qu’on desserre ses liens, et en profite pour pencher la tête vers ses mains entravées, et porter à sa bouche le contenu d’une pochette tirée de la doublure de son pantalon. Croyant avoir avalé du cyanure de potassium, il dit adieu aux policiers... En réalité, le pharmacien ne lui avait vendu que du ferrocyanure, et l’épisode se terminera piteusement aux toilettes de la Sûreté…
Mais le 28 février 1913, au lendemain de sa condamnation aux travaux forcés à perpétuité, Carouy parviendra à ses fins dans sa cellule, en avalant cette fois une capsule de cyanure, dissimulée dans la semelle de sa chaussure. Ainsi disparaîtra ce bandit singulier, qui ne supportait pas l’idée de la prison, et achetait des oiseaux en cage sur le quai aux Fleurs à Paris pour leur rendre la liberté, mais qui avec son complice Marius Metge, assassina sauvagement un vieillard de 91 ans et sa gouvernante âgée à Thiais pour les cambrioler...
Lui qui avait l’habitude de s’enfuir avec ses compagnons dans une puissante Delaunay-Belleville ne pouvait pas savoir que, quatre ans seulement après son arrestation en gare de Lozère, le manoir situé en contrebas de celle-ci serait acquis par… Emile Delaunay-Belleville.

(*) ancêtre des menottes











CP de la gare de Lozère datée du 7 avril 1912 :
« Amitiés : un document pour l’histoire du brigandage en France : c’est dans la gare ci-contre que fut arrêté l’autre jour un des bandits de Montgeron »



La Delaunay-Belleville volée, utilisée lors de l’attaque
du convoyeur de la Société Générale, rue Ordener  à Paris,
le 21 décembre 1911


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Pour en savoir plus :

Jules Bonnot et sa bande  
par Dominique Depond (La Belle Gabrielle)